Pourquoi prier Marie, puisque Jésus nous dit que pour aller vers le Père il faut passer par lui et qu’il est le seul chemin ?
Nous sommes juste après la Cène. Jésus prépare ses disciples à son départ. Il leur fait ses dernières recommandations. Et eux ne comprennent pas grand-chose. C’est Thomas qui, avec sa question : «Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas ; comment pourrions-nous savoir le chemin ?», s’attire cette réponse un peu lasse de Jésus : «Personne ne va vers le Père sans passer par moi. Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie.»
Il sent monter l’inquiétude de ses amis et les invite à la paix : «Ne soyez donc pas bouleversés : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. […] Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin.»
Jésus, la seule voie vers Dieu
Dans un autre passage, à peine plus loin, Jésus réitère cet enseignement. À son disciple Philippe, qui lui demande, avec semble-t-il un peu d’impatience, de lui montrer le Père et que cela leur suffira, Jésus répond : «Voilà si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas Philippe ? Celui qui m’a vu a vu le Père» (14,9). Et de longuement développer par la suite la façon dont lui et le Père sont unis, le Père en lui et lui dans le Père. Et de signifier encore plus loin : «Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.»
Nous voilà donc avertis. Jésus affirme qu’il est seul digne que nous le suivions et qu’il est le seul à permettre la rencontre avec Dieu, son Père. Bien sûr, ce passage peut être lu comme une fermeture. Il paraît très exclusif. Si personne, à part Jésus, ne peut conduire au Père, pourquoi alors se tourner vers Marie et les saints pour connaître Dieu ?
On n’a pas tort de se poser la question de l’utilité de la dévotion mariale. Et d’ailleurs, bien des chrétiens dans l’histoire se la sont posée.
Marie nous précède sur le chemin
Mais encore faut-il s’interroger sur ce «chemin» à prendre, sur cette «vérité» à découvrir, cette «vie» à expérimenter, ce «Père» à connaître.
Jésus ne veut pas dire qu’il s’agit de rester là, béat d’admiration devant lui, sans questionnement. Toute sa prédication dément cette manière d’être. Jésus détestait l’immobilisme. Son seul désir est que nous avancions avec lui. Car qui dit chemin, dit dynamique de vie, comme d’ailleurs il en donne l’exemple à ses disciples juste avant ce dernier enseignement. Le maître quitte ses vêtements et se met, comme un serviteur, à laver les pieds des disciples attablés.
Pour voir Dieu vraiment, il faudrait donc faire comme lui, choisir le service de l’autre, humblement. Voilà le vrai chemin… Et ce n’est pas un chemin tranquille mais escarpé, tortueux, plein de surprises et de nouveautés aussi. Et c’est sur ce chemin que Marie intervient. Elle n’est pas le chemin, mais elle le connaît et accompagne le pèlerin.
Elle s’y est engagée bien avant lui, elle l’y précède, en connaît les découragements et les embûches. Marie est déjà au port. Dans les évangiles, sa présence est très discrète. Elle apprend, comme les apôtres, à suivre son Fils, parfois dans l’obscurité la plus totale («Mais où étais-tu ? Ton père et moi nous te cherchions… ») mais aussi parfois, au fur et à mesure que le temps passe, dans des éclairs de grande intelligence spirituelle. Son «faites tout ce qu’il vous dira» des Noces de Cana ne s’adresse pas qu’aux serviteurs, mais à nous tous. Elle a compris qu’en faisant «sa» volonté, on accédait à une autre dimension.
«Dans les Évangiles, Marie n’a pas une place salvifique, mais elle est indicateur, elle nous aide à accéder au mystère du Christ», explique Agnès von Kirchbach, théologienne protestante.
Une «maîtresse» intérieure
On comprend mieux alors pourquoi tant de grands saints, mais aussi tant de simples chrétiens, ont pour Marie une dévotion qui pourrait parfois sembler un peu trop familière à certains. Bien sûr, il y a ce rôle maternel, féminin, protecteur, que Jésus sur la croix lui a confié : «Mère, voici ton Fils, Fils, voici ta mère». Mais Marie n’est pas que le réceptacle de nos angoisses et de nos prières de demandes. Elle est mère certes, et en cela elle nous entend, mais d’une maternité qui n’exclut pas la fermeté. Elle est aussi une «maîtresse» intérieure. On le sait, la Vierge fut au coeur de la spiritualité de Karol Wojtyla. Les notes personnelles du pape polonais lui font référence continuellement. Pour le jeune séminariste, tout comme pour le vieux pape affaibli par la maladie, Marie est celle qui lui a tout appris. Mais il n’est pas le seul. Dès les premiers siècles, Marie est à l’honneur.
Saint Bernard, saint Dominique, saint Louis-Marie Grignon de Montfort, entre autres, ont profondément marqué la foi chrétienne par leur dévotion mariale et ont fait de Marie une figure incontournable de la prière chrétienne.
«Ôtez ce soleil (le Christ) qui éclaire notre monde temporel : fera-t-il encore jour ? Ôtez Marie, cette étoile de la mer immense, que restera-t-il sinon la nuit profonde, l’ombre de la mort, les plus épaisses ténèbres ?» écrivait saint Bernard.
Le père Maurice Zundel, grande figure spirituelle du XXe siècle, aimait à dire que «C’est toujours par Marie que le Christ entrera dans notre âme», et il ajoutait : «Marie est tout entière transparente à Dieu comme un ostensoir de Dieu, elle ne peut que conduire à Dieu parce qu’elle ne respire que Dieu». Dans ses nombreuses apparitions, Marie ne parle pas d’elle, mais de son Fils. À Lourdes, elle demande la construction d’une chapelle, à la rue du Bac elle dit souffrir du «mépris» dans lequel on tient la croix de son Fils. À Pontmain, c’est la phrase : «Mon Fils se laisse toucher» qui se détache sur la banderole avant que Marie ne présente un crucifix aux enfants.
«Une place sous son manteau»
Certes, seul le Christ mène au Père, mais Marie nous introduit, de tout son être et de toute son intelligence, dans le mystère divin. Elle instruit, conduit, explique, enseigne, éclaire. La spiritualité orthodoxe, très mariale, a depuis l’origine représenté Marie montrant la voie vers Jésus. L’icône de la Vierge «hodigitria», «elle qui conduit», date de 1535 et se trouve au monastère d’Iveron au Mont Athos. Elle est bien connue aujourd’hui dans notre monde occidental.
La Vierge, mère de Dieu, «mater theou» comme le dit l’inscription, apparaît portant l’Enfant Jésus sur le bras et le désignant de l’autre main comme «voie, vérité et vie». Son geste semble dire à chacun : «C’est lui le chemin». Il invite à le regarder, à l’aimer à demeurer en sa présence, à faire «tout ce qu’il dira».
Bien sûr, la relation à Jésus est unique et qu’elle seule est source de salut. Mais cela ne veut pas dire que Marie est absente de cette relation. Elle y participe à sa manière, maternelle et sage. Profondément humaine et absolument maternelle, elle nous a été donnée par le Christ pour que nous comprenions que « les larmes de ceux qui souffrent ne sont pas stériles. Elles sont une prière silencieuse qui monte vers le ciel et qui trouve toujours chez Marie une place sous son manteau. En elle et avec elle, Dieu se fait frère et compagnon de route, partage avec nous la croix
pour que ne soyons pas écrasés par nos douleurs » (pape François).
Sophie de Villeneuve( Site Croire.fr
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